jeudi, décembre 14, 2006

La fantastique illusion du Sénat élu

Tout un sapin qu'on s'est fait passé avec l'annonce, mercredi, que Harper présenterait la journée même un projet de loi afin d'avoir un Sénat "élu".

Tout d'abord petite mise en contexte. Contrairement à la croyance populaire, le Sénat n'est pas un éléphant blanc, une grosse affaire qui coûte cher. C'est que chaque pays, pour s'assurer de la vitalité de sa vitalité, a besoin d'un mécanisme de poids et de contre-poids. Le Sénat, c'est notre contre-poids, un peu notre protecteur du gros bon sens et de la démocratie. Mais surtout, c'est notre contre-poids bien canadien afin de s'assurer que les régions et les minorités ne soient pas oubliés par la loi du nombre. C'est ainsi donc que les provinces fondatrices sont plus importantes au Sénat (par exemple, le Nouveau-Brunswick a plus de sénateurs que l'Alberta, même si sa population est moins nombreuse) et que, traditionnellement, , les Sénateurs sont souvent issues de groupes minoritaires comme les Acadiens, les Franco-manitobains, les Premières Nations, sans oublier la femmes, etc. afin d'être représentatif de la population canadienne, ce que la Chambre des communes ne fait pas encore très bien (on n'a qu'à juger par la proportion de femmes!).

Ceci étant dit, l'idée d'un Sénat élu, n'est pas nouvelle. Depuis avant même la création du Reform Party, l'ouest a longtemps revendiqué un Sénat "Triple E" (Élu, Efficace, Égal). Égal comme dans égal pour toutes les provinces/territoires, une mesure qui avantagerait principalement l'Ouest canadien.

Sauf que pour réformer le Sénat, pour en changer le format ou pour le modifier, il faut changer la constitution canadienne. Et rouvrir la constitution canadienne, c'est ouvrir une boîte de Pandore que plusieurs (pour ne pas dire la majorité?) des politiciens et des citoyens canadiens en général craignent comme la peste.

Premièrement, si on touche, même de loin, à la constitution, il faudra s'attaquer à la question du Québec qui n'a pas signé la constitution au moment de son rapatriement au début des années 1980. Et si on ouvre la constitution canadienne, les Premières Nations voudront aussi qu'on y inscrivent certaines modifications en leur faveur, c'est tout à fait compréhensible. Bref, la constitution canadienne est un gros panier de crabes aux pinces bien coupantes qui ne demandent qu'à s'agripper à n'importe quoi qui ouvrira le panier.

Et en situation minoritaire, y'a pas un parti qui voudra toucher à la constitution, même pas les conservateurs.

Comment réaliser sa promesse d'un Sénat élu sans même regarder en direction de la constitution? Avec un peu d'imagination et un bon spinning médiatique. Voilà.

Donc ce que le projet de loi que Harper propose, c'est que lors d'élections fédérales, en plus de voter pour choisir son député, on tiendrait des référendums dans chaque province sur qui les gens veulent voir être nommé au Sénat pour représenter leur province, sans aucune région spécifique. Ainsi les candidats sénateurs feraient campagne, comme pour être élus, et le gouvernement aurait ensuite le choix ou non de suivre le résultat du référendum pour nommer les gens au Sénat. Parce que oui, encore e 2006, c'est la Reine elle-même qui approuve les nominations aux Sénat.

Ainsi donc, chaque province aurait une liste différente de candidats sénateurs (qui devraient refaire campagne s'ils veulent conserver leur siège on imagine...) sur ses bulletins de votes et certaines provinces n'auraient pas nécessairement de référendum à certaines élections si aucun siège n'est disponible au moment de l'élection.

D'une part, le concept de tenir des référendums (un mot qui provoque de l'urticaire c'est bien des Canadiens et Québécois) en même temps que des élections, c'est très TRÈS américain.

D'autre part, le concept d'élections pour des postes de sénateurs proviciaux soulèvent plusieurs questions. Les candidats qui sont des ressources extraordinaires dans leur domaine mais qui n'ont pas nécessairement plusieurs dizaines de milliers de dollars à mettre sur une campagne ne se présenteront pas. Imaginez aussi la difficulté de faire campagne pour se faire élire à la grandeur du Québec ou pire - des Territoires du Nord-Ouest, particulièrement en hiver. Mais encore plus important, des élections signifient une diminution importante de candidats issus de groupes minoritaires de se faire élire - notamment les francophones (et bien qu'elles soient 53% de la population, ça sera aussi le cas pour les femmes). Et à l'intérieur de chaque province, les gens issues des régions seront largement désavantagés puisque la majorité des électeurs viendront des zones urbaines. Donc on aboutira avec des sénateurs des villes et personne pour représenter les régions moins peuplées, où moins d'électeurs auront votés pour le candidat de leur coin. Bonne chance au Nunavik pour faire élire un sénateur de leur coin si le nom du candidat du Nunavik est sur l'ensemble des bulletins de vote du Québec.

Et prenons une minute pour penser à une situation bizarre où par exemple, un anti-monarchiste extrêmiste ou tout autre individu bizarre remportait le référendum mais que la Reine refusait de nommer ledit individu au Sénat. On fait quoi alors? Est-ce qu'on dira que les référendum, ce n'est pas la démocratie et qu'on en pensera rien ou est-ce qu'on se dira qu'on le savait bien dans le fond, la démocratie, ça donne rien, ce qui contribuerait de façon exponentielle à faire baisser la taux de participation aux élections et le je-m'en-foutisme de la population face à la politique et à ses dirigeants.

Le fait est que Harper n'a pas les couilles ne plonger ses mains dans la constitution canadienne. Et plutôt que d'être intègre et avouer qu'il ne peut pas livrer la marchandise et réaliser ses promesses (comme il a fait en sachant clairement qu'il perdrait le vote sur la réouverture du mariage entre conjoints du même sexe), il crée une illusion qui risque de créer une confusion rarement vue dans l'histoire canadienne.

Exactement comme il a fait pour la nation québécoise. Bien sûr que le Québec est une nation. Mais l'Acadie l'est aussi. Les Premières Nations aussi. Cette démarche abrutie un sujet pourtant très important en aliénant le débat.

Parait en plus qu'il fera de son "Sénat référendé" un enjeu central de sa prochaine campagne électorale. Il ne gagnera certainement pas de votes chez les groupes minoritaires et les femmes avec ça. Ni au Nouveau-Brunswick d'ailleurs. Si c'est le cas, j'aimerais bien alors qu'il nous explique comment il pense que de simples motions et des illusions de démocratie feront du Canada un meilleur endroit où vivre... Cause real life is not all smoke and mirrors.

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Si c'est si utile que ça, pourquoi le sénat (la chambre basse) a-t-elle été abolie au Québec? Pourquoi est-ce qu'on s'en tire bien même sans?

Est-ce qu'on va pour toujours rester ancré dans les institutions de traditions brittaniques désuettes?

C'est paradoxal qu'un parti dit "conservateur" soit quasiment moins royaliste que les partis plus libéraux, et sociaux démocrates.

Comme tu dis, c'est que personne a les couilles de ses ambitions.