mercredi, octobre 03, 2007

Coming out et bilan d'une blogueuse politique

Ça fait longtemps que je rumine ce billet. Je le rumine depuis le début août en fait et j'y pense de façon presque quotidienne. Mais là, faut y aller, faut que je débale le tout. Notamment après la parution d'un article sur le mystérieux blogue adéquiste dans Le Devoir.

J'ai beaucoup réfléchi à comment écrire ce billet sans le transformer en roman. Quel angle prendre et comme tout dire en étant concise. Je pense qu'il est important de parler de mon expérience par contre, parce que, pour ce que j'en sais, c'est une première au Québec et au Canada (mais je suis peut-être dans le champs...). Finalement, je me suis dit que y'avait pas de façon parfaite d'attaquer le sujet alors voilà, je me lance.

Le contexte
De plus en plus, on entend parler de blogueurs québécois qui sont recrutés par des partis politiques. Des gens qui bloguent et qui se trouvent des jobs en politique. Je pense notamment à Mister P. et à plusieurs autres, adéquistes notamment, qui ont trouvé des emplois suite à l'élection du mars 2007. La très, très grande majorité de ces gens, en fait la totalité de ceux que je connais, ont fermé leur blogue. L'expérience de Mister P est intéressante puisqu'il a fermé son blogue personnel pour en rouvrir un autre pour le fermer presqu'aussitôt. Un contact qui bloguait aussi mais qui s'est trouvé un emploi dans les officines du pouvoir à Ottawa a aussi fermé son blogue lorsqu'il a décroché son emploi.

Mon expérience
Pendant plus d'un an, j'ai maintenu ce blogue personnel tout en étant d'une part responsable des communications d'un candidat pendant la dernière élection fédérale puis ensuite adjointe dudit député à Ottawa, Brian Murphy, député de Moncton-Riverview-Dieppe pour être précise. Pendant ce temps, à chaque moment, je me suis posée une tonne de questions sur l'avenir de mon blogue et son existence même. C'est devenu particulièrement vrai lorsque j'ai vu mes collègues blogueurs fermer leurs blogues après la dernière campagne électorale. Plusieurs m'ont déjà reproché d'être complètement folle et s'attendaient à ce que je sois éventuellement congédiée pour avoir un blogue.

Pendant mes réflexions personnelles sur le sujet, j'ai pesé le pour et le contre de plusieurs arguments. D'une part, au moment de mon implication partisane, cela faisait déjà 9 ans que je bloguais. Je me suis souvent exprimée pour et contre à peu près tous les partis inimaginables et je n'ai jamais considéré mon blogue comme partisan d'une formation politique plutôt qu'une autre. Dès le départ, j'étais bien décidée à faire une claire démarquation entre le boulot et mon action citoyenne. La question centrale était alors de se demander si le fait de travailler en politique m'enlevait automatiquement mon droit de parole citoyen, mon droit de vouloir changer le monde de façon personnelle. Est-ce que le fait d'exprimer que je ne tiens pas particulièrement à voir Poutine en bédaine remettait en question ma capacité à conseiller mon patron député? Ça peut sembler simple mais c'est loin de l'être.

Il ne faut pas oublier non plus que les partis politiques et les députés ont tendance à craindre les nouvelles technologies car ils y voient surtout un risque de dérapage et de perte de contrôle du message. Évidemment, rien ne ferait plus plaisir à un parti politique que de couler à des journalistes que l'adjointe du député X a raconté ceci ou cela sur son blogue, mettant dans l'embarras son patron ou le parti de son patron. La ligne est très, très mince. L'équilibre extrêmement fragile.

Je me suis donc imposée des règles strictes :
-Ne jamais parler du bureau sur le blogue.
-Ne jamais écrire sur un truc qui est purement partisan.
-Toujours bien peser les mots que j'écris et m'interroger sur les implications possibles de mes propos.
-Me demander si ce que j'écris est contraire aux politiques du parti (si c'est le cas, je n'écrivais simplement rien sur le sujet).
-Ne sortir que de l'info que je peux démontrer hors de tout doute avoir eu sans l'utilisation de mes contacts au bureau ou de mes fonctions.
-Évidemment, faire preuve de beaucoup de gros bon sens et de modération dans mes propos.

Mes conclusions
Après un an à marcher en équilibre sur un très fragile fil de fer, je pense honnêtement pouvoir dire qu'il est possible de bloguer et de travailler en politique. Après tout, je l'ai fait et je pense que je l'ai bien fait. Est-ce que ce fut facile? Bien sûr que non! Mais c'est tout à fait faisable. En fait, je pense que les employés politiques qui blogueront dans le futur seront les agents d'un changement important dans la façon de faire de la politique. Je pense qu'ils permettront de créer une nouvelle forme de démocratie participative. Avec un peu de travail, ils convaincront peut-être éventuellement leurs patrons de l'extraordinaire potentiel du blogue et des outils actuels (balladodiffusion, vidéodiffusion, etc.) pour engager les électeurs dans un niveau de participation civique encore jamais atteint. Les nouvelles technologies sont extrêmement puissantes pour créer un lien bidirectionnel entre les élus et leurs électeurs. Ce que je veux dire par là c'est que le politicien n'a plus besoin de faire du porte à porte une fois par 4 ans (en fait, par 18 mois par les temps qui courent), il peut simplement garder contact avec ses électeurs sur le web de façon quotidienne, publier des photos de ses activités, prendre position et surtout, répondre aux courriels et aux messages. Malheureusement, les élus profitent encore très, très peu de ces possibilités exponentielles.

Bien sûr, les employés politiques ont un important devoir de réserve. Mais est-ce que ce devoir de réserve devrait automatiquement abolir le droit de parole citoyen que devrait avoir tout payeur de taxe et électeur? Il y a quand même une certaine ironie là-dedans. S'impliquer en politique voudrait dire perdre son droit de parole public?! Avouez que c'est quand même paradoxal. D'un autre côté, quand on est payé pour donner son opinion politique, on comprend que de continuer de les donner gratuitement sur un site web grand public, c'est pas nécessairement l'idéal...Mais est-ce automatiquement inacceptable? Et dans cette équation rentre aussi le besoin pour le parti de contrôler le message VS le droit de ses employés d'avoir une vie citoyenne.

J'en sais quelque chose parce que si je n'avais pas dénoncé le ridicule de certaines décisions du conseil municipal de Moncton sur ce blogue, je n'aurais sans doute pas été assez pompée pour aller faire mes montées de lait directement devant les membres du conseil municipal de Moncton en septembre 2005. Si je n'avais pas fait ces montées de lait, mon nom ne se serait pas mis à circuler auprès de plusieurs impliqués politiques locaux. Si mon nom n'aurait pas circulé, on ne m'aurait pas recommandé pour m'occuper des communications d'un candidat pendant la dernière campagne fédérale et je n'aurais donc pas eu d'emploi comme adjointe sur la colline à Ottawa.

Ça m'apparaissait comme si une fois rendue en haut, il aurait fallu que je coupe les barreaux du bas de l'échelle. C'était pour moi une équation bizarre et illogique. Mais en même temps, je ne suis pas naïve et je connais très bien les restrictions qui viennent avec le travail politique.

Alors non, je ne me suis jamais vantée à tout vent sur ce blogue d'être une adjointe politique d'un député de la Chambre des communes. J'ai fait preuve de discrétion. Mais en même temps, je n'ai jamais nié travailler à la Chambre des communes ou pour le député de Moncton-Riverview-Dieppe.

Les questions
J'en ai eu des questions pendant l'année que je travaillais et bloguais de la Chambre des communes. Je vais tenter d'en résumer le propos mais si vous en avez d'autres, c'est maintenant ou jamais la chance de les poser. Je promets que je vais y répondre aussi bien que je peux.

-Ton patron le savais-tu que tu bloguais?
Oui. Ça ne l'enchantais pas par contre et il aurait sans doute trouvé que tout aurait été plus simple si je ne bloguais pas. Mais évidemment, je ne bloguais pas du bureau (le gros bon sens...) et je ne bloguais pas à propos du bureau. Je sais aussi qu'on l'a questionné sur le fait que son employée bloguait.

-T'as pas pensé arrêter de bloguer avec ton nom et partir un blogue anonyme, genre celui d'Élodie Gagnon-Martin qui, tiens justement en parlant de fermeture, semble maintenant disparu... (l'histoire ici)
Ouais, j'y ai pensé. Mais je n'étais pas à l'aise avec ça. Parce que je trouve qu'en société, il faut au moins avoir la conviction d'être prête à mettre son nom sur nos opinions. L'idée de me cacher derrière un pseudonyme, je trouve ça faible et peu crédible. Je trouve ça faux en fait. Je ne me sentais pas à l'aise avec ça. Ça aurait été une solution facile par contre, j'en conviens. Mais ça aurait été, selon moi, malhonnête.

-Est-ce que ça t'as causé des problèmes d'avoir un blogue?
Oui, ça m'a causé quelques problèmes. Quelques personnes n'ont pas aimé mes opinions, sur le bilinguisme notamment. J'ai souvent eu des différences d'opinions avec pleins de gens de tous les partis politiques mais dans certains cas, des gens ont préférés simplement bouder plutôt que d'argumenter et d'échanger. C'est leur droit mais c'est dommage. Bouder ne donne rien. Échanger par contre, là, c'est intéressant.

Je savais aussi pertinemment, gracieuseté des stats de mes visiteurs (détrompez-vous, rien n'est anonyme sur le web les amis), que plusieurs partis politiques autres que le miens gardaient un oeil de façon quotidienne sur mon blogue. Tout comme le bureau de Bernard Lord lorsqu'il était premier ministre du Nouveau-Brunswick par exemple. Je savais aussi que mes collègues, d'autres adjoints libéraux, consultaient régulièrement mon blogue. Alors sachant tout ceci, mettons qu'on fait encore plus attention à ce que l'on écrit.

...et le reste
Bien candidement, je dois vous avouer que la plus grosse surprise de ce blogue fut de constater que lorsque je suis arrivée sur la colline à Ottawa, plusieurs de mes nouveaux collègues, que je n'avais jamais vu de ma vie, me connaissaient déjà parce qu'ils me lisaient depuis plusieurs mois et dans certains cas des années. Ça m'a donné un drôle de choc disons.

Bizarrement, mon bloguage politique m'a aussi permis de faire plusieurs rencontres fantastiques au sein de pratiquement tous les partis et auprès de d'autres political freaks comme moi. Des gens du PQ, de l'ADQ, du PLQ, du PCC, du NPD, bref d'un peu partout. Certains de ces contacts sont devenus d'excellents amis maintenant. J'ai aussi appris à mieux connaître d'autres blogueurs politiques et à les apprécier encore plus.

Les rendez-vous manqués
Après la dernière campagne électorale provinciale, j'ai très sérieusement jonglé avec l'idée de devenir blogueuse politique à temps plein. Parce que j'avais souvent des pistes de sujets impressionnants et pleins de potentiel mais je n'avais pas le temps de m'investir dans la recherche de dossiers importants. J'avais des envies de passer mes journées à éplucher des dossiers politiques pour offrir une information objective et sortir des histoires inédites. J'ai parlé à beaucoup de gens et je pense que le Québec a le potentiel de soutenir un(e) blogueur(se) politique à temps plein indépendant. Et je pense humblement que ça aurait ajouté énormément au paysage politique médiatique du Québec. Je ne suis pas mégalomane ni naïve mais je pense que j'aurais pu réussir à fouiller et sortir des histoires et des dossiers politiques uniques dont les médias actuels ne parlent pas. Et pis oui, je m'ennuyais de ne pas être journaliste et de ne plus travailler dans les médias.

Évidemment, l'idée de sauter dans le vide, sans revenu garanti et de laisser un emploi bien rémunéré alors que je traîne encore un joyeux prêt étudiant, c'était loin de m'encourager à me créer mon emploi disons.

Le futur
Bizarrement, ce n'est pas mon emploi d'adjointe sur la Colline parlementaire qui aura eu raison de mon blogue politique mais bien mon emploi actuel dans le domaine de la diplomatie. Parce que là, veut, veut pas, d'une part, on me paye pour mes connaissances politiques et ma capacité d'analyse politique et d'autre part, la diplomatie est un art étrange et mes responsabilités sont maintenant telles que je ne suis plus à l'aise à parler de politique sur mon blogue. Par respect pour mon employeur, par nécessité de l'emploi et parce que j'ai eu beau y penser depuis deux mois, je ne trouve pas de moyen de pouvoir continuer. Pour reprendre un terme à la mode, il n'y a pas, dans ce cas-ci, d'accomodement raisonnable possible.

Après 11 ans de blogue politique, je dois donc arrêter. Je le fais avec grand regret. Je vais m'ennuyer. Mais continuer, même sous une fausse identité, n'aurait pas été acceptable selon moi et aurait été un manque d'honnêteté et de crédibilité envers mes lecteurs en premier lieu mais aussi envers moi-même.

Je ne pourrais pas complètement abandonner mon blogue par contre. Ainsi donc, je continue le blogue mais il n'y aura presque plus de commentaire politique. Quel format? Je me donne la longue fin de semaine pour y réfléchir de façon finale mais j'ai quelques idées.

Une petite note finale pour remercier tous ceux qui m'ont lu et qui m'ont laissé des commentaires au fil des ans par contre. Lire les commentaires des gens, c'est réellement un grand privilège et un grand plaisir. Même quand c'est des commentaires de gens qui sont en total désaccord avec moi. Parce que la démocratie pour moi n'est efficace que quand les gens participent, réfléchissent et argumentent. C'est quand le peuple s'endort que là, les choses commencent à vraiment mal aller. Alors à tous ceux qui m'ont lu et qui m'ont écrit merci.

Ce sera un nouveau début pour ce blogue, un format complètement différent, une nouvelle approche. Un nouveau chapitre. En fait, un tout nouveau livre...

Bon, c'est dit. Ouf. Ça fait du bien...

9 commentaires:

Catherine a dit...

Salut Julie,

on ne se connaît pas mais j'avais entendu parler de tes questionnements sur ton renouveau de blog par un de nos amis communs. Je blogue personnellement depuis 5 ans et j'ai souvent changé de formules et je dirais que

1- je te comprends de ne pas pouvoir aller vers l'anonymat
2- je crois que c'est une sage décision

Nous avons fait des choix de carrières et il faut parfois savoir être cohérents avec ces choix. Mon blog n'a jamais été aussi strictement politique que le tien, mais il est clair qu'il y a des sujets que je n'aborderais jamais. Et comme j'ai la chance (!) de travailler dans un bureau qui traite à peu près tous les domaines du possible et de l'immaginable de la vie sociopolitique... bon ben je m'abstiens la plus part du temps.

Tes commentaires politiques me manqueront!
Mais j'attends la suite!

Au plaisir!

Mario Asselin a dit...

Merci pour cette contribution en particulier et pour l'ensemble de votre engagement ici. vous nous manquerez...

Nancy a dit...

Bonne Chance Julie! Tu ecris tellement bien que je reste, peu importe le sujet ;)

Anonyme a dit...

Je lisais, et je me disais "ah non, elle va pas arrêter, pas elle..." Jusqu'aux derniers paragraphes j'espérais...

Bon courage pour la suite.

Au fait pourquoi tu maintiendrais pas ton blog en écrivant sur des sujets hors politique ?

Mario Asselin a dit...

Heu... C'est un peu ce qu'elle propose Houssein ;-)

Altavistagoogle a dit...

Bonne chance Julie! Ma carrière de fonctionnaire ma obligé d'adopter le style anonyme. Bloguer fut un bon moyen d'exprimer _mes_ opinions. Et là je suis complètement accro (surtout que ma job actuel n'a a peu près aucun impact sur la société que j'aimerais tellement amélioré).

Je te souhaite bon courage dans ton sevrage. Mais n'appel surtout pas un centre d'appel pour te défouller ;-P .

Si tu y va avec l'anonyme, voici quelques règles que je me suis imposé:

1. Toujours être honnête avec mon lieu de résidence (pas la rue, mais au moins la ville).
2. Toujours déclarer, très clairement, les conflits d'intérêts.

Anonyme a dit...

Wow! Eh bien, je dois dire que tes commentaires politiques vont me manquer, mais comme Nancy, moi, je reste! Bonne chance dans la nouvelle incarnation de ce blogue!

Anonyme a dit...

C'est bien dommage que vous laissiez votre blogue en plan. Moi, il y avait tout juste trois semaines que je vois ai découvert et je vous aimais déjà...

Anonyme a dit...

hehe, désolé, sous le choc j'avais même pas pris le temps de lire jusqu'au bout ;-)