Les temps changent. Et bien humblement, je ne sais pas si c'est pour le mieux ou le pire. Est-ce qu'on avance ou est-ce qu'on recule? Et ça fait 10 ans que les gens de mon âge (30 ans) en parlent entre eux, y'a un sacré choc des générations qui s'en vient. Les boomers, en bonne partie nos parents et leurs aînés, ne nous croyaient pas mais là, ça s'en vient vraiment, on le sent.
De bien des façons, la vie des gens de ma génération est unique. Du jamais vu. J'ai grandi sur la rive-sud de Montréal (Mackayville devenu Laflèche devenu St-Hubert devenu Longueuil, redevenu, ah non, pas défusionné, excusez) au sein d'une population blanche et francophone. Sur ma rue, y'avait des Laronde, des Gauthier, des Delisle, des Gagné, des Trépanier et des Bergeron. Y'avait un italien qui avait une grosse maison italienne avec des affaires de décoration italienne et une piscine creusée. Y'avait une noire pis une irlandaise. Je chantais dans la chorale de l'église catholique Notre-Dame-de-l'Assomption même si je ne me souviens pas de quoi je chantais puisque je ne savais pas encore lire. J'ai fais ma première communion avec toute ma classe, mes deux sets de grand-parents étaient présents et ils m'ont donné des chapelets.
Et puis paf. Mon Québec est entré dans la modernité. Divorce de mes parents, inscription aux tout nouveaux cours de morale et changement d'école alors qu'on nous envois dans "l'école des grands" et qu'on donne notre école à des anglais. Aucun des ti-culs du quartier ne connaissaient d'anglais alors on se demandaient d'où ils sortaient pour qu'on leur donne une école. L'école Notre-Dame-de-l'Assomption est disparue, ça devait être l'été 1983, et est devenue la Terry Fox School.
Et nous on a arrêté d'aller regarder les trains passer sur nos BMX après l'école et à la place, on allait lancer des roches aux anglais. "Fuck you" qu'ils nous criaient. "Maudits anglais" qu'on répondait.
De ma banlieue confortablement blanche, homogène et francophone, ma mère décida de refaire sa vie et nous avons déménagé sur St-Jacques au coin de Georges-Vanier, en plein coeur du ghetto de la Petite-Bourgogne de Montréal. Méga gros choc pour la tite-cul que j'étais. Primo, y'a plus de noirs que de blancs. Deuzio, le monde est particulièrement pauvre. Tertio, ça parle pas nécessairement français et c'est le festival de la violence. Une vraie jungle, je vous dis.
Après une première étape avec 110% de moyenne (oui, ça se peut), l'école offre de me faire sauter ma 5e année. Des élèves menacent la maîtresse avec un couteau et veulent que je leur donne les réponses pendant les tests. Soudainement, ma meilleure amie s'apelle Luminata et elle est Roumaine.
Finalement, on me change d'école et je passe le restant de l'année au Collège Français, où je dois d'apprendre du Hugo, Prévert et autres grands classiques par coeur. Soudainement, la majorité de mes amis sont Africains et parlent un français impeccable.
Quelques années plus tard, j'abouti à F.A.C.E. Un joyeux mélange de tout ce qu'il y a sur la terre. Y'a des musulmanes voilées, des raëliennes, plusieurs juifs, des cathos et toutes sortes de choses in between, avec en plus des francophones et des anglophones ensemble. Bizarrement, personne ne se tappe dessus. Taux de décrochage scolaire : ZÉRO. L'harmonie la plus totale. On se fait inviter à la Bar mitzvah de un, à la célébration machin de l'autre. Certains manquent les classes une telle journée dans l'année parce qu'ils célèbrent ce qu'ils célèbrent. Ok. No big deal. Pis quand on fait de l'éducation physique, on est tous en souliers de course, en habit et pis la vie est belle. Pis la cafeteria sert la même bouffe pour tout le monde, c'est à dire que c'est dégueu et que ça goûte le carton pour tout le monde, peu importe notre religion.
À l'université, j'ai cotoyé bon nombre d'amis musulmans. Ils ont fini par obtenir un petit local de prière, dans un sous-sol qui servait autrefois de bar étudiant et qui sentait encore la sueur, la cigarette et l'alcool. Ils n'en faisaient pas un plat. Ils allaient à tous leurs cours et leurs examens. Pas de problème.
Y'a quelques années, j'ai travaillé comme coordonnatrice sur un projet sur la diversité culturelle canadienne et un de mes collègues, Gurwinder Singh, était sikh. Un mec fort sympathique, toujours en train de rigoler. Un soir pendant une de nos conférences à Ottawa, nous sommes allés ensemble voir un film IMAX au Musée de la civilisation de Hull. Je dois vous dire que je ne me suis jamais sentie comme ça de ma vie alors que les gens nous jettaient des regards bizarres et inquisiteurs, presque avec des éclairs dans les yeux. J'étais en T-shirt et en bermudas, probablement avec des sandales. Il avait une barbe et un turban. Non seulement les gens le regardaient lui, mais ils me regardaient moi, quelques fois comme si j'étais une pauvre victime. Pourtant, il n'y avait rien là de bien excitant. J'étais loin d'être son esclave ou je ne sais quoi. J'allais simplement voir un film avec un ami, point à la ligne. Et je dois vous dire que son turban et sa barbe me dérangeaient pas mal moins, personnellement, qu'un gars à casquette qui conduit une Honda Civic avec des jeans trop grands au fond de culotte aux genoux et les boxers qui ressortent...
Pourtant, je sentais dans les regards désapprobateurs et insistants des gens une impression d'intolérance radicale. Laissez-moi vous dire que ce fut toute une expérience...
Et puis depuis 10 ans environ, j'ai un T-shirt que j'adore qui dit ceci : "On a mission from God". En 10 ans, une seule personne a reconnu, en lisant la phrase, d'où ça vient. Ça a drôlement rien à voir avec Dieu, c'est une phrase du film Blues Brothers. J'ai toujours adoré ce T-shirt. Mais aujourd'hui, quand je le mets, les gens me regarde comme si je suis une espèce d'extrêmiste radicale d'ultra-droite. Mais c'est complètement ridicule cette political correctness!
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Je vais vous dire bien honnêtement, plus qu'un débat eux VS nous, plus qu'un débat méchants musulmans anti-femmes VS bons Québécois pure laine, plus qu'un débat faut-il garder le crucifix à l'Assemblée nationale, je trouve que le débat actuel devient un débat de génération et de repères générationnels.
Des gens plus vieux, qui ont moins voyagés, qui ont moins été exposés à la globalisation dans tout ce qu'elle contient de transcultures, qui réalisent aujourd'hui qu'ils sont dépassés par une nouvelle génération montante qui n'a plus les mêmes repères. C'est rien de nouveau remarquez. Les Baby-boomers ont fait le coup à leur parents avant nous dans les années 60 et 70 en brûlant leurs soutien-gorges, en rejettant la religion, en célébrant l'amour libre et les droits des femmes.
Moi, ma vie, celle de mes amis de ma génération, elle est assez simple en fait. On voyage partout sur la planète, on a des amis de partout sur la planète. Dans la même journée, on clavarde avec un gars au Liban, en France, en Australie et en Bolivie. On a des amis musulmans, juifs, raëliens, cathos, bouddhistes et Dieu sait quoi encore. Quand on organise un souper, on demande s'il y a des allergies ou des restrictions et on n'en fait pas tout un plat, c'est simplement normal pour nous. La planète pour nous est toute petite et plus rien n'est hermétique. Tout communique avec tout, les ensembles ne sont plus en vases clos. On pose des questions aux gens, on tente de savoir pourquoi et comment leurs croyances fonctionnent. Je suis moi-même une espèce de païenne sorcière qui chante dans une chorale Gospel rattachée à une église protestante indépendante d'avant-garde. So what?
Mes spécialités culinaires sont le Poulet Tika Massala et le couscous aux légumes, j'adore le Irn Bru, le Brie double-crème et je ne crache jamais sur des Fajitas. Les repères de ma génération sont complètement différents de ceux qui ont aujourd'hui 60 ou 70 ans. Tout peut sembler flou et je comprends que ça ne doit pas être facile de se rendre compte qu'on a perdu nos repères.
Mais en même temps, moi cette diversité culturelle dans laquelle je vis à tous les jours, je la trouve géniale. Et pis oui, y'a des trucs pas raisonnables. Mais ça, c'est comme ça dans la vie en générale, c'est pas exclusif aux juifs ou aux musulmans. Un couvre-feu pour les jeunes, moi je ne trouve pas ça raisonnable. Des gars arrêtés en état d'ivresse au volant qui continuent de conduire sans permis ou qui retrouve leur permis, je ne trouve pas ça raisonnable. Qu'on puisse s'acheter, même avec un permis, une arme semi-automatique, je ne trouve pas ça raisonnable. Un violeur qui fait 14 mois de prison, je ne trouve pas ça raisonnable. Un meurtrier qui est libéré après quelques années de prison, je ne trouve pas ça raisonnable. Le prix des parcomètres au centre-ville non plus. La fermeture de Mirabel non plus. Le non-interventionisme d'agents de sécurité du métro devant une femme qui se fait frapper non plus. Que les gens ne se lèvent pas pour céder leur place à une femme enceinte ou une personne âgée non plus. Que les chiens ne soient pas admis dans les parc de l'arrondissement Ville-Marie non plus.
La bêtisse est partout. Ça n'a rien à voir avec une religion ou un pays d'origine. Ça à a voir avec une absence grandissante de gros bon sens et de civilité générale.
jeudi, septembre 27, 2007
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6 commentaires:
J'ai l'impression que c'est le mémoire de l'Asso des aines de Joliette qui te bardasse un peu. En fait, depuis que j'ai entendu son porte-parole dire qu'il faudrait un genre de mode de vie standard québécois. Mes cheveux ont défrisé!
Tu as raison. Le choc est générationnel et je crois que la génération précédente regard avec aussi d'effroi les jeunes qui sont disont différents de la même manière qu'ils regardent ces gens qui nous ont apporté le tabouleh, le smoked meat et le tikka masala.
Évidemment, en 2007, les "autres" ne sont pas juste sur une ile au milieu du fleuve dans de beaux pavillons mais un peu partout au Québec et, la plupart gagne à être connu. Va falloir que l'on se réveille...un jour.
Je voulais juste te dire une autre fois à quel point j'adore te lire! Continue!
Et vlan dans les dents! Pertinent, mordant et terre-à-terre tout à la fois. Du Foglia à la puissance 10. Un excellent texte!
Très bon texte! Et puis penser que ça pourrait être simplement un problème générationnel, c'est tout de même rassurant! Ça permet de croire que la situation va changer dans quelques années.
J'espère que tu as raison.
Réflexion très intéressante, Julie. Je ne suis pas en désaccord avec toi; cependant, comme sur toute question, il y a les exceptions qui contredisent la règle, c'est-à-dire qu'il existe bien des jeunes québécois et québécoises qui partagent les opinions et préjugés de leurs aînés. Ceci étant dit, comme Martine le souligne, on peut espérer que la situation va s'améliorer si le problème est fondamentalement générationnel. Je veux y croire...
Je suis dans le train de Montréal, où il m'arrive de travailler, à Québec où je vis depuis 17 ans. Je viens de lire ton billet comme on prend une bouffée d'air frais.
Le sujet est complexe mais le débat est malheureusement trop passionné pour qu'il ait une portée positive significative. Il faudrait que des témoignages comme le tien fassent leur chemin jusqu'à la commission Bouchard Taylor pour faire contre poids aux discours simplificateurs, simplistes et parfois franchement raciste.
Merci.
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